jeudi 22 janvier 2009

L'Ensecret

Gare de triage de Grenoble 7 avril 2008

« On bouge ? » Léa vient de poser une question. « On bouge » pour aller où ? Non, c’était histoire de dire, à l'instar du temps où on avait le choix ; c’était pour croire qu'on y était toujours. Un grand éclat de rire : c’est encore elle, la seule capable de réveiller l'acoustique d’un lieu jusqu’à ses plus lointaines résonances. Il doit être minuit, une heure du matin. Le gardien fait un passage, mais il comprend tout de suite la situation et n’insiste pas ; les lieux seront bien gardés même si les portes ne sont pas toutes verrouillées. Je fais une tentative pour m’extraire du fauteuil, mais à peine debout, je me rends compte qu’il vaut mieux que je me rasseye, tant le vertige me guette. Le passé me semble loin, il fait bon, je me sens si bien... Je saisis encore des bribes de conversations et des mots qui émergent. J’entends souvent le mot « plateau » associé à l’expression d’un sentiment d’enthousiasme : « Si ! Je t’assure, là-haut on vit bien, il n’y a plus de ségrégation, on y vit comme avant ! » J’essaye d’en capter plus, mais je replonge dans un demi-sommeil et me retrouve entre rêve et réalité. Je crois « voir » la salle alors que je sais pertinemment que mes yeux sont fermés. Je les rouvre pour vérifier, et en effet : je n’ai plus la même vision, plus la même perspective. Je referme les paupières et la salle réapparaît sous un autre angle. J’aperçois alors quelque chose bouger sur le mur d’en face, en un endroit où le velours est absent, une sorte de personnage peint sur le mur. Ça ressemble à un fragment de fresque égyptienne ; je distingue clairement une femme de profil. J’ai beaucoup de mal à accommoder ma vue, mais j’ai l’impression que le personnage est en relief, quasiment en trois dimensions. Les bras sont fins et me rappellent les marionnettes indonésiennes. Je cherche alors les tringles qui doivent les animer, mais ne les trouve pas. J'ai beau savoir qu'il s'agit d'une hallucination, c’est là, sous mes yeux. J’entends à nouveau les conversations, et le son d’un piano dans le lointain. Brusquement, la marionnette se met à tourner dans une danse, et je crois voir Gypsie, la gitane de Roland. « Le plateau ! » À nouveau, ce mot prononcé près de moi me fait sortir de ma fantasmagorie.

L'Ensecret de Bernard Fauren


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3 commentaires:

Anonyme a dit…

ravie de t'avoir rencontré par le biais de mon article Ecoute, écoute dans votrejournal ;-)

très belle journée à toi.
michèle

Anonyme a dit…

Un joli passage, empli de mystère, qui donne envie de connaître ce qui précède et ce qui suit !
Bravo !

becdanlo's blues a dit…

@Michèle Sébal et nic:

Merci pour votre visite et pour vos mots sympathiques :)