mardi 24 novembre 2009

HYROK


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Bon, que dire ? Je suis venu chercher refuge ici : je me trouve au plus mal. Tout semble m’échapper encore. Cette vue imprenable est peut-être la seule chose qui m’appartienne vraiment aujourd’hui, qui me remplisse immédiatement de joie ; sans condition et sans détour. Ce lac merveilleux, ces montagnes, ces hautes herbes qui narguent la rocaille brûlante, tout cela m’appartient, là, maintenant. Je suis le maître incontesté de ce décor immobile et silencieux. Si je reviens dans dix ans, il sera toujours là ce décor, fidèle, à sa place, éternel comme une photographie métaphysique.
Pour le reste, tout se dérobe, se cache, se dilue, s’évapore ou éclate en myriades, en incertitudes, en possibilités impossibles. C’est la nuit qui s’approche, la grande nuit opaque et brutale. Celle qui entre sans frapper. Celle qui fait peur aux enfants.


Hyrok de Nicolaï Lo Russo

lundi 16 novembre 2009

Biographie indienne



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Il resta accroupi au bord de la source, but une gorgée d'eau, se releva précautionneusement avec la coupe pour ne rien renverser, et il s'apprêtait à prendre le bref chemin du retour, quand son oreille perçut un son, qui le ravit et l'épouvanta. C'était celui d'une voix qu'il avait entendue dans bien des rêves, à laquelle il avait songé pendant bien des heures de veille avec la plus amère des nostalgies. Ses accents étaient suaves, suaves et enfantins. Tendre, elle l'attirait dans la pénombre du bois et son cœur en frissonna d'effroi et de plaisir. C'était la voix de Pravati, sa femme. « Dasa », disait-elle, enjôleuse. Il regarda autour de lui, incrédule, tenant encore la coupe entre ses mains. Et voilà que surgit entre les fûts des arbres, élancée, souple, sur ses jambes longues, Pravati, sa bien-aimée, l'inoubliable, l'infidèle. Il laissa choir la coupe et courut à sa rencontre. Elle était là, devant lui, souriante et un peu confuse, elle leva vers lui ses grands yeux de biche. Une fois près d'elle, il vit qu'elle avait aux pieds des sandales de cuir rouge et sur le corps de très beaux et très riches habits, au bras un anneau d'or, et dans ses cheveux noirs des pierres de couleur, étincelantes et précieuses. Il recula, frémissant. Était-elle donc restée une courtisane royale ? N'avait-il pas tué ce Nala ? Portait-elle encore ses cadeaux? Comment pouvait-elle se présenter à lui et appeler son nom, parée de ces bracelets et de ces pierres ?

Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse (Biographie indienne)