mardi 27 janvier 2009

Xian

Monsieur X nous fit arrêter dans un faubourg de Xianyang et entrer dans un petit atelier où l'on fabriquait les silhouettes de cuir du théâtre d'ombres chinois. Sol de terre battue, deux lampes au carbure qui venaient au secours d'une ampoule suspendue à son fil nu, si faible qu'elle n'éclairait qu'elle-même, une scène improvisée faite d'un drap fixé à deux bambous et, accrochée au mur ou suspendue à des ficelles, une foule de découpes de parchemin: juges, généraux, danseurs, mandarins, chevaux, courtisanes, démons, dont certains se balançaient en silence car le vent soufflait de la rue....

Monsieur X adressa quelques phrases rauques à d'invisibles interlocuteurs qui se mirent à s'affairer derrière l'écran. Un cri à glacer le sang retentit et les lumières de l'atelier s'éteignirent. A gauche du drap, on vit apparaître un cavalier casqué, corseté dans son armure d'insecte...

C'était ahurissant de virtuosité et de magie; je crois bien n'avoir pas repris mon souffle une seule fois. La bande son: chocs parfaitement synchrones, rots de dépit, hennissement des montures, était tout aussi suggestive. Nous venions de voir le général T'chao traverser et conquérir le Turkestan chinois au début de l'ère chrétienne. En coulisse, la « troupe » (deux vieillards exquis de politesse et trois gamins morveux vifs comme des belettes, qui étaient leurs petits-enfants) nous offrit un verre d'alcool blanc. les tribulations de cette famille de marionnettistes devaient égaler celles du général Pan t'chao. Les parents avaient « disparu » à Shanghai pendant les années noires. les grands-parents s'étaient fait confisquer leur petit matériel et interdire l'exercice d'un art éminemment populaire mais inclus dans le fourre-tout de « l'héritage féodal » Depuis quelques années, ils avaient pu retrouver leur métier, leur répertoire, et se faisaient quelques sous en vendant leurs silhouettes à des gens de passage. « Ça va mieux à présent pour eux », conclut sobrement Monsieur X dont les allures d'ex-taulard mettaient manifestement tout le monde en confiance.


Journal d'Aran et d'autres lieux de Nicolas Bouvier


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