lundi 16 avril 2012

Etre ici, c'est merveille


















Crédit photo : Times of India

Pris d'angoisse, – l'heure passant –, hésitant entre ces soixante-dix ou quatre-vingts voies, je cours d'un rail à l'autre, interroge des préposés qui oublient de me renseigner, ou se trompent en me renseignant. L'affolement tourne à la panique, le cœur halète, un voile obscurcit mes yeux.
J'avise un homme assis sur le bord d'un quai.
Indifférent à tout ce branle-bas, il regarde devant lui, n'attendant rien de particulier, n’ayant rien de spécial à faire, ni à déclarer au monde.
Je m'approche, hors d'haleine :
Please, sir, le train pour Varanasi ?...
Il tourne lentement la tête, lève les yeux vers moi, et dans un anglais aussi approximatif que le mien, il a ce mot sublime :
Don't you feel o.k. here ? (« Vous n'êtes pas bien ici ? »)
Un éclair au cœur de la nuit ! Voilà donc le seul homme qui, dans une circonstance pour moi tragique par son urgence, avait l'acuité de voir les choses telles qu'elles étaient, et par la suite, avait su dire la seule phrase qui était à dire !.. La seule réplique capable de me réconcilier en un instant avec l'Inde tout entière, où l'on est si souvent si mal, mais qui a tant de choses oubliées à nous apprendre, et tant de choses inconnues à nous rappeler.
– Vous n'êtes pas bien ici ?..
Pour un peu, moi aussi me serais assis là – de stupeur !
Après tout, n'étais-je pas bien sur ce quai, dans cette foule ?... Qu'allais-je faire à Bénarès ?... Que m'étaient ce désordre, ce vacarme, cette cohue, ce chaos, si tout en moi n'était qu'ordre, calme et vérité ?... Qu'avais-je à être à ce point troublé par toutes les danses de Saint-Guy de l'Illusion ferroviaire, si j'avais trouvé en moi le centre vide autour duquel elles se démènent inutilement ?.. J'aurais dû me prosterner devant cette perle de sagesse égarée au milieu des bidons de graisse, des crachats de bétel, des mares de cambouis, et illuminant ma peur des seules syllabes nécessaires à l'exorciser ; j'aurais dû reconnaître en cet homme rien moins que mon maître.

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