lundi 7 décembre 2020

"Drôles de virus" un recueil de nouvelles.




"Drôles de virus" un recueil de nouvelles avec la participation de becdanlo avec la nouvelle "La spinozite" ... extrait :



- Eh bien Mimile, t'as pas l'air d'être en forme, qu'est-ce qui t'arrive ?
- Ah, Bébert! J'ai pas fermé l'œil de la nuit.
- Pourquoi ça ?
- J'ai la tête remplie de pensées qui tournent sans cesse. Je suis épuisé. J'arrête pas de réfléchir…
- Des pensées ? Quelles pensées ?
- Laisse-moi en attraper une… Ça y est ! «Rien ne peut être plus utile à l'homme pour conserver son être et jouir de la vie raisonnable que l'homme lui-même quand la raison le conduit.»
- Ouf, ça m'a l'air grave ! Dis, tu comprends au moins ce que tu penses ?
- Pas du tout !
- T'as vu un médecin ?
- Oui, Bébert. Ce matin même.
- Et alors, qu'est-ce qu'il t'a dit ?
- Il m'a dit que c'était probablement une spinozite B, un nouveau virus qui circule.
- Une spinozite B ? Et on peut en guérir ?
- Y a rien à faire… Soit on guérit spontanément, soit on devient fou !




mardi 15 septembre 2020

À propos de la Kali décapitée de Marguerite Yourcenar


 À propos de la nouvelle de Marguerite Yourcenar: Kali décapitée ... extrait :

C'est en effet une vision très personnelle de la déesse Kali, car il n'y a pas de «têtes échangées» dans les mythes communément admis la concernant : Kali est la déesse la plus effrayante du panthéon hindou. Elle a la peau noire, des yeux et une langue rouge. Elle porte un collier de têtes de mort et les divers attributs d'une guerrière. Lors d'une bataille avec le démon Raktabija, elle se sert de sa langue pour empêcher le sang de tomber, mais ceci l'empoisonne et la rend folle. Pour l'apaiser, son père Shiva s'étend sur le sol afin qu'elle le piétine ...


mardi 30 juin 2020

À dos de chat ailé


"À dos de chat ailé" un recueil en mémoire de Cécile Delalandre aux Éditions du Bateau Ivre... extrait:

Salut Cécile, c'est becdanlo.

Je suis à Saint-Véran, assis sur la margelle de la fontaine où tu attendais le Machu de la Bézotte dans ton dernier livre. Il fait un peu frais ce matin, nous ne sommes qu'au printemps, l'air est humide. Sais-tu que je suis allé sur Internet pour vérifier si ta fontaine existait ? Et j'ai été vraiment soulagé: non, la fontaine que tu décris ne ressemble pas à celles que j'ai trouvées. Je t'avoue que j'ai eu un peu peur que cela soit réel, mais Dieu merci, ce n'était pas pour de vrai, mais pour rire . Je m'accommode mal du réel, je ne suis pas le seul.

Je ne te connais pas non plus pour de vrai, alors on devrait être à l'aise. Je sais que tu as été une professionnelle de la radio, que tu as écrit des chansons et des livres, mais c'est sur la toile que nous nous sommes rencontrés pour de rire . C'était encore un peu l'époque de la découverte : pouvoir ainsi communiquer, échanger nos textes à travers le grand monde, c'était magique. Pour cela, nous avions des lieux de rencontres chez les autres : Léo Scheer, Chritian Domec (Les Penchants du Roseau), Wrath...


  À dos de chat ailé



mardi 15 octobre 2019

Sur les traces de Kali


Un joli petit livre, à la couverture d'un délicat rose poudré, ornée de la photo mystérieuse d'une femme sans visage et pieds nus, à la robe-jupon un brin suranné. Un joli petit livre aux bords arrondis comme pour inciter à la douceur, « sur les traces de Kali ».

Un joli petit livre, dédié à Kali. Mais ce n'est pas la « Kâli décapitée » de Marguerite Yourcenar, incomplète et imparfaite comme nous le sommes tous… encore que ce personnage fragmenté a peut-être bien quelque chose à voir avec la Kali de Bernard Fauren.

Un joli petit livre, dont on tourne les pages lentement, de fragment en fragment justement, l'auteur ayant choisi une construction originale qui invite autant à une lecture linéaire qu'à une lecture faite d'allers-retours. Sommes-nous en Inde, en France ? Dans les légendaires gorges de Galamus ? Dans la fascinante citadelle de Quéribus ? Place Saint-André vouée à une forme d'éternité puisqu'elle fut celle de la première rencontre, vraie ou fantasmée ? Qu'importe ! On circule d'un lieu à un autre, les lieux se superposent les uns aux autres, comme les différents temps d'une vie d'ailleurs, celle de Yohan et celle de Denis le psy. Et Kali alors ? Fuyante, évanescente et si présente, à qui il faudrait faire le cadeau de l'oubli… Elle aura, je crois, la silhouette et le visage que lui donnera chaque lecteur, invité en somme à se l'approprier.

Un joli petit livre qui, sans doute, contient en filigrane beaucoup du vécu de l'auteur, de ses déchirures, de ses rêves aussi, de ses multiples aspirations… le voile pudique de la poésie incite le lecteur à poursuivre son propre chemin sur les traces de Kali… ou pas !

[Nicole Yrle]



mardi 15 octobre 2013

Rencontres dans l'Himalaya


Crédit photo : Stella Snead (Shiva's Pigeons - 1972)

J’hésitais à franchir ce bois ramolli par les éclaboussures du torrent, quand, arrivant vers moi, dans la brume des gouttelettes, j’aperçus deux silhouettes les bras écartés, courant à grands pas rythmés sur le tronc. Il s’agissait d’un couple de Tibétains. Leur visage était buriné, leur sourire ouvert sur des chicots noircis, et la fente de leurs yeux bridés se perdait dans les rides de leur peau cuivrée. Comme catapultés de plusieurs siècles en arrière, ils étaient vêtus de peaux de bêtes : une sorte de poncho de fourrure lié à la taille et des bottes de peau tenues par des croisillons de cuir, et sur leur dos, des outres et des besaces de cuir.
Ils riaient en scrutant mes yeux bleus, ma haute taille et ma peau blanche. En quelques minutes, sur un petit fagot de bois se mit à bouillir une petite théière métallique aussi noircie que cabossée. Du lait de yack fut versé d’une outre dans l’eau où avait été jeté le thé noir. Le mélange, servi dans des pots en argile, avait un goût rance. Je savourais la magie de l’instant : au bord d’une rivière en furie, je partageais un thé au lait de yack sous le soleil de l’Himalaya en compagnie de deux Tibétains d’un millier d’années...
Aussi vite qu’ils étaient arrivés, les Tibétains avaient replié leurs affaires et repris leur route. Ils sautaient de pierre en pierre jusqu’à disparaître dans l’épaisseur de la forêt, me laissant seule devant le tronc pourri qu’il me restait toujours à franchir... Sans hésiter plus longtemps, avec l’image de leur apparition bien en tête, je les imitais : je courais sur le tronc, les pieds nus écartés, les bras en croix, et hop, hop, hop, une dizaine de pas plus tard, j’avais atteint l’autre rive 

mardi 25 décembre 2012

Le Kharabagh m’a changée

Crédit photo : Philippe Fenouillet

Nous sommes partis le matin de bonne heure car nous voulions faire une halte à Noravank et la route est longue pour arriver à Stepanakert : 330 km.
À peine sortis de la capitale, la réalité nous a rattrapés de plein fouet.
Cette réalité s’appelle Pauvreté et Misère.
Nous avons croisé de petits villages de paysans, les hommes étaient habillés comme sur les vieilles photos du début du XXe siècle et accompagnaient leurs vaches aux champs, les femmes étaient vêtues de grandes jupes longues noires avec des fichus sur la tête, les enfants couraient au bord de la route surpris de voir un convoi de quatre grosses voitures noires, des chiens courraient derrière eux.
C’est à ce moment là que j’ai compris que j’étais en Arménie, la vraie, la mienne, du moins celle de ma grand-mère.
Toutes les images que j’avais dans la tête, après les récits qu’elle me contait le soir quand j’étais seule avec elle, se trouvaient devant moi. Le paysage très aride, une végétation très maigre, des petits arbustes brulés par le soleil, des champs jaunis par le soleil à perte de vue entourés de montagnes ocre, rocailleuses mais le summum pour moi a été de retrouver la tenue vestimentaire de mon arrière-grand-mère toujours de noir vêtue.
Un grand sentiment de tristesse, de mélancolie, de vide, m’a envahie. Nous ne nous parlions plus dans la voiture, nous venions de faire, en fait, un bond dans le passé, et pourtant ce passé que nous avions vécu enfants qui s’était éteint avec nos grands-parents, avait ressuscité et se dressait là devant nos yeux.
C’est cette Arménie là que j’ai le plus aimée.

lundi 16 avril 2012

Etre ici, c'est merveille


















Crédit photo : Times of India

Pris d'angoisse, – l'heure passant –, hésitant entre ces soixante-dix ou quatre-vingts voies, je cours d'un rail à l'autre, interroge des préposés qui oublient de me renseigner, ou se trompent en me renseignant. L'affolement tourne à la panique, le cœur halète, un voile obscurcit mes yeux.
J'avise un homme assis sur le bord d'un quai.
Indifférent à tout ce branle-bas, il regarde devant lui, n'attendant rien de particulier, n’ayant rien de spécial à faire, ni à déclarer au monde.
Je m'approche, hors d'haleine :
Please, sir, le train pour Varanasi ?...
Il tourne lentement la tête, lève les yeux vers moi, et dans un anglais aussi approximatif que le mien, il a ce mot sublime :
Don't you feel o.k. here ? (« Vous n'êtes pas bien ici ? »)
Un éclair au cœur de la nuit ! Voilà donc le seul homme qui, dans une circonstance pour moi tragique par son urgence, avait l'acuité de voir les choses telles qu'elles étaient, et par la suite, avait su dire la seule phrase qui était à dire !.. La seule réplique capable de me réconcilier en un instant avec l'Inde tout entière, où l'on est si souvent si mal, mais qui a tant de choses oubliées à nous apprendre, et tant de choses inconnues à nous rappeler.
– Vous n'êtes pas bien ici ?..
Pour un peu, moi aussi me serais assis là – de stupeur !
Après tout, n'étais-je pas bien sur ce quai, dans cette foule ?... Qu'allais-je faire à Bénarès ?... Que m'étaient ce désordre, ce vacarme, cette cohue, ce chaos, si tout en moi n'était qu'ordre, calme et vérité ?... Qu'avais-je à être à ce point troublé par toutes les danses de Saint-Guy de l'Illusion ferroviaire, si j'avais trouvé en moi le centre vide autour duquel elles se démènent inutilement ?.. J'aurais dû me prosterner devant cette perle de sagesse égarée au milieu des bidons de graisse, des crachats de bétel, des mares de cambouis, et illuminant ma peur des seules syllabes nécessaires à l'exorciser ; j'aurais dû reconnaître en cet homme rien moins que mon maître.

vendredi 28 octobre 2011

Je vous aime !



Dessin : Rachel Bergeret
Crédit photo : Eva Lunaba


Je vous aime !
Voila, c’est dit, comme ça on n’y reviendra plus.

Pourquoi ?
Oui, bien sûr : « Pourquoi ?»…

Parce que… vous me rappelez ma mère ?
Non, ça ne se dit pas !... pourtant qu’est-ce que vous lui ressemblez.

Parce que… vous me rappelez une femme qui m’a quitté ?
On ne dit pas des choses pareilles, voyons! … tout de même ce regard.

Parce qu’auprès de vous, je sens un parfum de terre étrangère ?
Oui, ça c’est déjà mieux… quoique… c’est la porte ouverte à d’autres questions…

Parce que… je ressens auprès de vous des sensations inconnues ?
Non, là c’est bien trop ambigu.

Parce que je suis fou de vos pieds ?
Ben, voyons, encore un fétichiste !... quoique, si vous saviez…

Je me sens si bien auprès de vous ?
Oui, bon, un gros nounours en peluche ferait aussi bien l’affaire !

Parce que…. parce que…

Je me sens si seul et que j’ai envie d’être aimé, sentir ton regard se poser sur moi avec attention, affection, voir tes iris rayonner comme des soleils… te désirer… m’oublier… être toi et moi… étancher ma soif d’amour… être enfin bien…

Je t’aime !

Voila, comme ça c’est bien mieux !


Texte écrit par becdanlo pour les 12 ans du boudoir d'Eva Lunaba
Un billet doux imaginaire que vous rédigerez, dessinerez ou photographierez pour déclarer votre flamme à un(e) inconnu(e).



mercredi 22 juin 2011

Emporté par la Vie



Crédit photo : Maxilise

D’où nous vient cette force qui nous pousse vers le haut, sans qu’on sache pourquoi ? Des fois, je me dis que c’est toi qui est là tout près de moi, qui veille et me pousse vers l’avant, vers le haut. J’aimerais tant y croire, que ce soit vrai, que tu sois là, je n’aurai plus jamais peur…

Aller en Inde signifiait beaucoup dans la confrontation du rapport à la mort ; ce n’était pas de cette façon que je comptais découvrir ce pays et ses habitants, mais j’ai eu la chance de faire des rencontres profondes et sincères. La mort abolit toutes les barrières que ce soit celle du langage, de la culture, de l’étranger, du touriste et son porte-monnaie. On est tous bien peu de choses face au deuil où que l’on soit sur cette terre et quelque soit notre religion. Comme si une solidarité se créait face à l’inconnu et à la souffrance.

Ce voyage en Inde a contribué à mon cheminement du travail de deuil, ainsi qu’à ma quête de compréhension sur l’essence même de la vie.

"Emporté par la Vie, sur la route de l'Inde" d'Anne-lise Pichon et Maxime Bonnot

mercredi 25 mai 2011

Polichinelle



Crédit Photo

Il voulait vivre intensément de sorte à ne rien regretter, qu'elle que fût l'heure de sa mort. Mais il n'en continuait pas moins à mener une vie pleine de gêne à l'égard des ses parents adoptifs et de sa tante. Sa vie se trouva ainsi divisée en deux zones : l'une d'ombre, l'autre de lumière. Il avait vu un jour, debout dans une boutique de vêtements européens, un polichinelle et s'était alors demandé jusqu'à quel point il n'en était pas lui-même un. Mais son inconscient – ou en d'autres termes son second moi – avait depuis longtemps déjà avoué ce sentiment dans l'un de ses récits.

"La Vie d'un idiot" de Ryûnosuke Akutagawa

vendredi 11 février 2011

Un jour de grosse lune



Crédit photo

J'ai pris mon short, mon calame, un tonneau de vin et une casquette de capitaine. Sur le quai de mes brumes, j'ai acheté un bateau, hissé ses voiles, chatouillé sa brigantine, escaladé le mat de misaine, mais rien, rien n'a même gigoté sous la houle. L'embarcation ne bougeait pas d'une vague. Peine perdue en effet, on ne m'avait pas spécifié qu'il s'agissait d'un navire à air comprimé. Je dus donc louer les services d'une centaine d'accordéonistes pour faire le plein d'air.


Heureuse, je quittais enfin le port, laissant sans regret derrière moi, le pot au feu qui s'en réjouit, car il aimait le feu... mais ça, je le sus bien plus tard.


J'ai vogué pendant des lunes et des lunes, laissant l'air se décomprimer librement. Mais les poings du ciel, rouges comme un babybel, poussaient, je le sentais bien, ma coquille de moi vers un unique point que je ne parvenais pas encore à définir. Bientôt, des côtes lardées de terre m'apparurent et je reconnus, à ma grande joie, Casablanca la brune. Je freinais de justesse et tricotais tant bien que mal un créneau pour caler mon engin.

"Un jour de grosse lune" de Cécile Delalandre

dimanche 26 décembre 2010

Enfants de Vârânasî




Crédit photo : Céline Hegron

Enfants de Vârânasî, je partage votre vie. Chaque jour je vous vois, vous soigne parfois, marche dans la rue avec vous... Vous êtes là toujours jouant, vacant à vos occupations, travaillant déjà pour certains d'entre vous malgré votre jeune âge.
Les jeux ? Oh non, vous n'en avez guère, même pas un ballon, mais vous vous contentez de ce que vous avez sous la main, et c'est avec plaisir que chaque jour je vous regarde vous amuser, grimpant sur un vélo-rickshaw, jouant avec la canne d'un vieil homme, courant après les chèvres...

Vous êtes pour moi les neveux et nièces que j'ai laissés en France et qui, forcément, me manquent, et vous êtes un peu aussi les enfants que je n'ai pas la chance d'avoir, mais que j'aime, je pense, autant que si vous étiez les miens.
Vous avez cette insouciance qu'ont les enfants de votre âge et, que nous adultes, avons trop vite perdue. Vous vous souciez peu de ce que sera demain, puisque vous, vous profitez de chaque instant pleinement.


"Un Rêve Indien, journal d'une volontaire à Bénarès" de Céline Hegron

samedi 20 novembre 2010

Le Souvenir de personne



Crédit photo

Un groupe de lycéens vient s'installer à quelques mètres de nous. Ils sont cinq et ont des airs de vacances. Ils ont remisé les manteaux de l'hiver, il y en a même qui arborent des lunettes de soleil. C'est vrai qu'il fait étonnamment chaud sous ce soleil et j'ai retiré mon pull depuis un moment... tu dois mourir de chaud enfermé dans le tien... Je m'apprête à t'en faire la réflexion, mais je me retiens.
Bien sûr que tu ne peux pas le retirer, ni même relever tes manches... Le pli de ton bras gauche vire au mauve sombre, tu ne peux même plus t'y piquer depuis quelques jours. C'était une petite tache au départ, mais qui lentement s'étend. Avec en son cœur un minuscule petit trou où brille une plus minuscule encore goutte de sang. Petite bille d'en vie. C'est par là que tu meurs et que tu vis, le point d'où partent les fils qui te déroulent le long des jours, t'enroulent et t'écorchent, les cartes de ton autopsie. Tu ne veux pas que je regarde, tu dis que c'est toi qui est en train de pourrir, que ce n'est pas la peine d'être deux à voir ça...
Oh ! Il faudra que je te dise un jour. Te dise que la beauté est au premier qui passe, qu'on s'en fou, que le reste s'apprivoise. Que c'est à tes failles que je m'attache, que je m'encorde. Que les jolis vernis se décolorent bien vite. Que c'est aux déformation de ses veines que l'on reconnait l'essence de l'arbre...


"Le Souvenir de personne" de Cécile Fargue

dimanche 5 septembre 2010

La Chanson d'Amour de Judas Iscariote



Crédit photo


Écoutez-moi, voulez-vous que je les redise pour vous seuls, ces mots qui trottent dans mon crâne comme des bêtes de la nuit, tendez donc l'oreille dans ce cas, plus près voyons, plus près, de quoi avez-vous peur, regardez-moi, approchez-vous de moi, et regardez maintenant ces femmes et ces hommes qui n'en sont point, qui se taisent, qui ferment leurs yeux, leur bouche et leurs oreilles, regardez ces femmes et ces hommes qui en me jugeant, refusent de se juger, comme c'est facile n'est-ce pas ? Mon procès, mon jugement disent-ils en roulant des yeux, l'honneur retrouvé, le sang lavé et tant d'autres mensonges, la vérité qui sortira de mes entrailles éclatées et les tirera, croient-ils, vers la lumière la plus pure, c'est bien évidemment faux et, se trompant, sachant qu'ils se trompent, ils n'ont qu'une seule hâte, en finir avec l'accusation bien vivante que je représente à leurs yeux, cacher le scandale, arracher de ma bouche cette maudite langue qui n'en finit pas de remuer, c'est pourquoi ils me regardent, ils ne me voient pas car, s'ils me regardaient, ils me verraient et se verraient immédiatement, eux, ils m'entendent mais ne m'écoutent pas car, s'ils m'écoutaient, ils me verraient et écouteraient les mots qui ne demandent qu'à couler dans leurs veines vides, la foi est affaire d'oreille n'est-ce pas, c'est pour cela qu'ils refusent de m'écouter car, s'ils m'écoutaient, ils auraient la foi.

"La Chanson d'Amour de Judas Iscariote" de Juan Asensio

mardi 10 août 2010

En Transit



Crédit photo : Myjo


Bien qu'elle eût parfois rencontré des gens aimables et obligeants et régulièrement connu le plaisir d'une agréable compagnie pour une période plus ou moins longue auprès de jeunes qui partageaient son sort, elle s'était vite aperçue, en quête de travail et par conséquent dépendante, que la plupart de ceux avec qui elle avait eu le plus de contacts étaient impitoyables. Elle avait été à dure école, exploitée, traitée grossièrement, escroquée, menée en bateau. Généralement dans leur comportement social, où que ce fût, les gens étaient terriblement semblables. Maintenant, elle ne s'en laissait plus conter. Elle avait appris à garder ses distances. Qu'on la trouvât le plus souvent peu aimable, revêche, l'arrangeait bien. Sous ces apparences d'indifférence, elle restait vigilante, sentait la tension dans son corps et son cerveau. En cas de nécessité, elle saurait réagir sur-le-champ.

"En Transit" de Hella Serafia Haasse

samedi 24 juillet 2010

Aux bords du Gange



Crédit photo: Mitchel KanashKevich/Getty Images (détails)

Nous approchions du mois d'Ashwin (septembre). La rivière était en crue. De l'escalier qui descendait dans l'eau, quatre marches seulement émergeaient encore à la surface. La nappe liquide affleurait les bords aux endroits où la rivière s'abaissait, là où les « Kachus » poussaient en touffes compactes sous les branches des bosquets de mangos. En cet endroit, le courant formait un coude et laissait à découvert trois grands tas de briques amoncelées depuis longtemps. Les bateaux de pêche, amarrés aux troncs des « bablas », se balançaient soulevés par les flots à la pointe du jour. Les grands roseaux qui recouvraient le banc de sable captaient les premiers rayons du soleil ; ils commençaient à fleurir sans avoir atteint encore leur plein épanouissement.
Les barques gonflaient leurs voiles sur la rivière ensoleillée. Le prêtre brahmane portant ses vases rituels se disposait à prendre son bain. Les femmes, par groupes de deux ou trois, venaient puiser de l'eau. C'était l'heure où Kusum avait coutume d'apparaître au haut des marches et de se baigner.


Aux bords du Gange de Rabindranath Tagore


vendredi 9 juillet 2010

Couleurs de femme



Crédit photo

Au printemps des p'tits oiseaux
j'ai vu des femmes turquoise à l'iris orangé
des femmes fleurs en robes coquelicots
le corsage ouvert sur l'ambre de la peau

Au printemps des p'tits oiseaux
j'ai connu des femmes palissandre
aux yeux étoilés de jade
et les cuisses entrouvertes
sur un jardin ruisselant d'incarnat

Au printemps des oiseaux
j'ai connu des femmes pêches
au regard fascinant d'émeraude
la peau veloutée et la chair blanche

Au printemps des salauds
j'ai vu des femmes polychromes
à la peau bleue tuméfiée
et des marbrures roses
en souvenir d'essence

Au printemps des salauds
j'ai déposé quelques roses.
une pervenche et la belle ancolie
sur ce lit de mousse où tu t'étioles
pour cause de vitriol


Lézardes et Murmures de Laurent Chaineux

dimanche 20 juin 2010

Les Récits d'Ostwand



Soudain une autre faille et le temps qui jusqu'alors s'étirait, curieusement dilaté, se contracte brutalement et tout commence de ce qui doit être dans l'aube pâle et grise. Un ample martèlement se déchaîne, violent, furieux. La mer se creuse sous le souffle de salves ininterrompues qui grondent et partent fracasser la côte tandis que de longs nuages de fumée montent au-dessus des navires, emplissant l'air froid d'une âcre odeur de poudre. « Avec ce qu'ils sont en train de recevoir là-bas, vous n'aurez plus rien à faire », disent les voix qui gueulent inlassablement dans les hauts-parleurs. Elles viennent de très haut, des structures des transports de troupes. Ou peut-être de nulle-part, d'un point indéterminé du temps et de l'espace. Mais elles sont nécessaires, elles rassurent et guident.

Les Récits d'Ostwand d'Eric Meije

dimanche 6 juin 2010

La mort en Perse 1935




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On s'agenouille, à moitié couché, dans le vent. Il en sera toujours ainsi, pense-t-on, toujours. Maman, pense-t-on (comme ce nom aide à pleurer !), il y a quelque chose, tout au début, que j'ai fait de travers. Mais ce n'était pas moi, c'était la vie. Tous les chemins que j'ai suivis, tous ceux que je n'ai pas suivis, aboutissent ici, dans cette « Vallée heureuse » d'où il n'y a plus d'issue, et qui, pour cette raison, doit ressembler au royaume des morts. Elle est remplie d'ombres du soir qui descendent lentement des montagnes et recouvrent les pentes et les troupeaux endormis, accrochés à leur flancs comme du duvet. Et dans la lumière nocturne émergent doucement, les unes après les autres, cimes et crêtes : décor de bout du monde.

La mort en Perse de Annemarie Schwarzenbach

vendredi 14 mai 2010

Sentir



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Il faudrait sans doute raconter bien d'autres balades sous le signe liquide à Calcutta, à Bombay ou à Goa dans l'oubli de la mousson mais dans la nécessité d'être trempés à longueur de journée. Un soir à Pokhara, cette année, tandis que j'écrivais ce texte, une pluie diluvienne a soudain inondé les rues, coupant l'électricité et donnant naissance à un orage spectaculaire dont les éclairs illuminaient plusieurs secondes l'obscurité de la ville. Nous dînions à bonne distance de notre petit hôtel, il a fallu marcher de l'eau jusqu'au genoux, tomber dans quelque trous, croiser quelques vaches immobiles et serrées contre les murs des maisons, inventer le chemin dans une nuit d'encre entre deux éclairs, un beau périple avant d'arriver enfin à bon port. Mais tout cela est aujourd'hui familier. Ce sont des moments de complications provisoires qui donnent leur sel à la marche urbaine et laissent des souvenirs impérissables.

"Eloge de la marche" de David Le Breton

vendredi 23 avril 2010

Retour à Tipasa, 1952



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Quelque chose pourtant, pendant toutes ces années, me manquait obscurément. Quand une fois on a eu la chance d'aimer fortement, la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière. Le renoncement à la beauté et au bonheur sensuel qui lui est attaché, le service exclusif du malheur, demande une grandeur qui me manque. Mais, après tout, rien n'est vrai qui force à exclure. La beauté isolée finit par grimacer, la justice solitaire finit par opprimer. Qui veut servir l'une à l'exclusion de l'autre ne sert personne ni lui-même, et, finalement, sert deux fois l'injustice. Un jour vient où, à force de raisonnement, plus rien n'émerveille, tout est connu, la vie se passe à recommencer. C'est le temps de l'exil, de la vie sèche, des âmes mortes. Pour revivre, il faut une grâce, l'oubli de soi ou une patrie. Certains matins, au détour d'une rue, une délicieuse rosée tombe sur le cœur puis s'évapore. Mais la fraîcheur demeure encore et c'est elle, toujours, que le cœur exige. Il me fallait partir à nouveau.

"Retour à Tipasa" d'Albert Camus

mardi 6 avril 2010

Pourvu qu'Arthur ait raison



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Par la fenêtre ouverte, Ethel aperçoit au loin cette forêt de Chartreuse, dont l’austère profondeur l’effrayait autrefois, ce lieu qu’elle percevait, enfant, chargé d’un mystère à la fois envoûtant et potentiellement dangereux, ce cadre tout particulier où la lumière du soleil ne parvient, souvent, qu’à poudrer d’or un seul point, laissant en noir et blanc tout le reste…

Cette forêt, où, lorsqu’un père y entraînait ses filles, la plus jeune, dans une attente fébrilement craintive, plus encore qu’elle redoutait voir surgir un loup, espérait voir apparaitre un renard ! Pas n’importe quel renard… Pas un renard enragé que les hommes se seraient empressés de tuer mais celui du petit prince de Saint-Exupéry pour que, juste un instant, le sous-bois au cœur duquel elle était devienne une rose à écouter « se plaindre, se vanter ou même se taire ».


"Pourvu qu'Arthur ait raison" de Martine Galiano

mardi 16 mars 2010

Les Cigognes Noires


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Alors les jeunes gens avaient poussé des cris sauvages, ensorcelants, et Sylvy avait levé la tête vers le carré de ciel, l'avait levée vers les oiseaux absents ou vers ces oiseaux qui étaient des notes et ses lèvres troublées par leur propre beauté avaient effleuré les grappes acides et roses des raisins qui tombaient de la treille. Le second violoniste avait poussé un long cri lorsque la jeune femme avait arraché de ses lèvres ce qui était dur et acide. Il avait semblé à Laurent qu'au-dessus de la tête de Silvy quelque chose avait tourné dans le ciel gris du crépuscule, un grand orbe bleuté, un cercle dessiné peut-être par ces oiseaux volant à une altitude insoupçonnée, rondeur de migrateurs obnubilés par la musique et ce qui en elle était songe et ne pouvait appartenir à l'occident. Alors il avait vu le pantalon noir de Silvy se relever sur sa cheville tandis qu'elle prenait de ses lèvres le raisin encore amer, comme si ses lèvres avaient voulu le faire mûrir plus vite et il avait vu la prothèse de métal, cet anneau qui luisait autour de sa jambe.

Les Cigognes Noires de Jacques Macé